« Qu’est-ce que je fais maintenant? »
Les lumières sont éteintes et la musique s’est arrêtée. Les célébrations ralentissent. Les athlètes qui rentrent des Jeux olympiques, après de nombreuses années de dévouement monastique envers leur sport, se demandent : « Qu’est-ce que je fais maintenant? ».
Le monde après les Jeux n’est pas toujours facile à naviguer
Certains Olympiens poursuivront naturellement l’entrainement pendant les quatre prochaines années afin de se préparer pour Tokyo. Pour plusieurs autres, la réintégration au « monde réel » présente de véritables défis et exige de nombreux choix.
L’âge, les antécédents et l’étape de vie des athlètes olympiques varient largement selon le sport et les circonstances. Certains gymnastes et nageurs reviendront chez eux pour terminer leurs études secondaires. Plusieurs sports d’endurance exigent des années d’entrainement pour atteindre un rendement maximal, et les athlètes peuvent être à la fin de la vingtaine ou au début de la trentaine au moment où ils quittent la compétition aux échelons supérieurs. Certains athlètes ont eu la chance de profiter d’un programme collégial américain qui les a catapultés vers une équipe nationale. Ceci leur permet d’avoir un diplôme en poche lorsqu’ils entameront la prochaine étape de leur vie.
Peu importe la situation unique de l’athlète, une chose est certaine : ses interactions quotidiennes avec le monde réel seront très différentes de celles qu’il ou elle a connues dans ses milieux d’entrainement.
Les athlètes ne seront plus entourés de gens qui se concentrent uniquement sur une chose, au travail ou à l’école. Il leur faudra du temps pour adopter un mode de vie plus « équilibré » et plusieurs éprouveront des difficultés à y arriver. La transition est rarement sans heurt, même s’ils connaissent une fin heureuse.
L’un de nos amis, un chirurgien vasculaire hautement réputé, a indiqué qu’il ne peut que faire des chirurgies. Si un jour personne n’avait besoin de ses services, il ne serait qualifié pour aucun autre emploi. Plusieurs athlètes font face à cette réalité lorsqu’ils mettent fin à leur carrière sportive. Ils sont hautement qualifiés dans un domaine très pointu et pour la vaste majorité d’entre eux, cette habileté spécifique n’est pas commercialisable.
Les athlètes qui prennent leur retraite pourraient ne jamais exceller dans un autre domaine autant qu’ils ne le font dans leur discipline sportive – une réalisation qui est difficile à accepter lorsqu’on a 25 ans.
Il peut leur être difficile de s’identifier à une société très différente de celle dans laquelle ils évoluaient auparavant. Si leur performance olympique est décevante, ils peuvent se sentir totalement anéantis au moment de prendre leur retraite, ayant dévoué tant d’efforts pour obtenir si peu en retour, à leurs yeux.
Bien qu’un grand nombre des habiletés qui leur ont permis de devenir des athlètes de calibre international peuvent être transférées au monde du travail, plusieurs éprouvent de la difficulté à faire le saut ou à voir exactement comment ces habiletés peuvent être mises à profit. Il n’est pas rare pour les athlètes de souffrir de dépression, ou de ressentir des inquiétudes concernant leur direction et leurs valeurs.
Malheureusement (ou peut-être heureusement maintenant), je le sais par expérience.
J’ai fait partie de cette catégorie d’athlètes ayant connu une performance olympique écrasante. À Athènes, en 2004, moi et mes huit incroyables coéquipiers avons terminé avec une performance terrible en finale, bien que nous nous attendions à remporter l’or.
Nous n’avions aucun psychologue du sport pour nous aider à surmonter la déception, pas de rencontre pour ventiler et discuter de ce qui s’est mal passé. L’un de mes coéquipiers s’est coupé la main sur sa table de chevet en raison des cauchemars qu’il a faits pendant la nuit. Pendant plusieurs mois après les Jeux, j’ai passé la majorité de mon temps étendu sur le sol de notre appartement à Victoria. Dès que j’ai annoncé ma retraite, mon ONS s’est empressé de mettre fin à mon financement et de me montrer la porte.
Ma fiancée et moi sommes revenus à Winnipeg pour amorcer nos vies, mais il est clair maintenant que je n’étais pas prêt à le faire. Pendant plusieurs années, j’ai combattu des sentiments d’échec (et cela m’arrive encore, de temps à autre), j’ai eu l’impression de ne pas être à ma place dans un endroit qui m’avait été familier toute ma vie, et il m’était difficile de prendre de simples décisions concernant l’orientation que je souhaitais poursuivre. Ce fut des moments difficiles.
Dans le sport, pour performer, nous devons créer notre bouclier contre la faiblesse, ce qui est très étrange.
Admettre que l’on est faillible, que l’on est inquiet ou que l’on a des doutes à nos coéquipiers ou à nous-mêmes peut nuire à la performance. En même temps, il est essentiel de confronter toutes ces émotions pour notre santé mentale et notre bien-être. Bien que nous soyons dans le sport, nous réussissons mal à réconcilier les deux. Par la suite, nous en reconnaissons l’importance, mais faisons peu d’efforts pour y arriver.
Heureusement, nous réussissons mieux (sans être parfaits) à faciliter la transition des athlètes qui prennent leur retraite. Les athlètes sont beaucoup plus sensibilisés à l’importance de tenir compte et de se préparer à la vie après la compétition. Il existe beaucoup plus de programmes aujourd’hui qu’il en existait il y a huit ans pour les appuyer en formation professionnelle, en santé mentale et en réseautage. Et les athlètes sont plus sensibilisés à ce dont ils ont besoin pour y avoir accès.
Bien sûr, certains athlètes seront capables de tirer profit de leur renommée sportive pour en faire une carrière publique. D’autres auront la chance de se tailler une carrière professionnelle dans leur sport. Et d’autres se seront bien préparés et vivront une transition facile vers une carrière non sportive.
Mais le Canada a envoyé plus de 300 athlètes à Rio, et plusieurs reviendront vers un avenir incertain.
Une partie de notre travail au Centre canadien du sport Manitoba est d’aider les athlètes à trouver leur place avec les services dont ils ont besoin. Il en revient à nous de nous assurer qu’ils reviennent dans leur communauté en pleine forme et prêts à contribuer pleinement à la prochaine étape de leur vie en échange des sensations fortes et des émotions qu’ils nous ont procurées – et en reconnaissance des sacrifices méconnus qu’ils ont faits pour y arriver.